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Dossier : Des messages dans les toilettes



Comme tout étudiant.e de l’université vous vous êtes sûrement déjà rendu aux toilettes, avez-vous remarqué que les murs étaient jonchés de messages et de dessins ? Ils regorgent de secrets, de témoignages, de messages politiques, de poèmes ou encore de blagues ! Nous avons voulu les découvrir plus en détail, par qui sont-ils laissés et dans quel but ? Nous sommes donc partis à la découverte de ces messages et de leurs autrices et auteurs.


Différence entre toilettes pour les femmes et les hommes

Quand on commence à faire le tour de toutes les toilettes, une différence genrée des messages saute immédiatement aux yeux. La poésie n’est pas pratiqué équitablement dans les toilettes pour les femmes et pour les hommes. Nous aurons beaucoup plus l’occasion de tomber sur des messages de témoignage, de soutien ou de poésie chez les femmes. Les toilettes des hommes seront plus souvent l’espace d’expression de quelques pervers. Sérieusement, on est tombé sur des dizaines de messages à peu près similaires, écrits par la même personnes dans les toilettes de tous les bâtiments demandant à ce que les femmes soient nues.


Guerre des messages politiques

Vous observerez dans plusieurs toilettes, et plus spécifiquement dans ceux de la barre, que certains murs sont le champ de bataille d’une guerre politique entre les différentes idéologies qui traversent notre université. Ainsi les vindicatives politiques pleuvent et les corrections et modifications se déchaînent. À l’image de ce tag “abolition de l’UNI” devenu en quelques coups de marqueur anonyme quelques mois plus tard “abolition de l’UNEF”. Mais poussé à son extrême, certaines phrases deviennent presque des débats constructifs comme pour l’échange suivant : “vive Staline” → “zemmour <3 / URSS = 100 millions de morts → “fake news hyper connu / capitalisme = milliards de morts !!!” → “bah voyons !”. Vous pourrez aussi tomber sur quelques murs où la censure l’a emporté, comme une politique de la terre brulé et où les murs ne sont recouvert que de petits gribouillis au marqueur noir et cachant les messages qui y étaient écrits.


Era Tyx : Poétesse des murs

On a croisé plusieurs citations poétiques signées de @Era_tyx, dans tous les bâtiments. Nous l’avons donc contacté pour lui demander ses motivations à écrire et à signer. Et nous lui avons aussi demandé si elle avait déjà été contactée par rapport à ses poèmes.

“C’est principalement pour gagner en visibilité et faire découvrir mes poèmes aux étudiants. Je le fais depuis environ un an et oui il y en a d’autres dissimulés sur le campus. Je les signe pour que les gens savent qui est derrière ces quelques vers. Cela leur permet de découvrir aussi plus de contenu sur mon compte d’écriture. Et oui certains étudiants m’ont contactée après avoir lu certains poèmes. J’ai même rencontré sur le campus une étudiante en psycho qui avait beaucoup aimé mes écrits. Dans le bâtiment Ricoeur, une autre étudiante a répondu au poème que j’avais écrit en le complétant avec deux autres vers. Cela me permet de rencontrer d’autres étudiants. Ce que je trouve très riche. Et cela leur laisse surtout le choix de découvrir qui se cache derrière ces vers dissimulés un peu partout sur le campus de Nanterre”





Les murs des témoignages

Un autre élément qui pourrait vous surprendre en arpentant les toilettes de Nanterre, est la quantité de messages de témoignages et de soutiens aux victimes de violences sexistes et sexuelles. Particulièrement dans les toilettes des femmes, l’ambiance est à la sororité et aux messages bienveillants. “Toutes ensembles ! Restez debout !”

Dans le bâtiment Ricoeur, nous avons trouvé notamment un mur entier, recouvert de témoignages, et où le mot “courage” est partout écrit en différentes couleurs, par différentes personnes qui passaient par là. Anonymement, des personnes se confient : “Sur une dizaine de partenaires sexuels, de mes 15 à 18 ans, j’ai eu 4 violeurs Aucune poursuite judiciaire possible. Vous voyez le problème ?”. En réaction, les témoignages se multiplient “‘Si tu veux en parler je suis là j’en ai eu 3 de mes 17 à 19 ans”, ou encore “Je suis là aussi, j’ai eu 4 agresseurs, de mes 4 à 19 ans, on est là pour en parler, personne nous fera taire ! ”.

Des conversations entières ont lieu sur ce mur, les dizaines d’anonymes se répondent, “je vois toutes vos réponses, elles me réchauffent le coeur, merci” [...]. Elles s’encouragent et se donnent des conseils “Allez-voir le documentaire sur les violences sexuelles Réparez les vivantes [...]”

Sans témoigner, plusieurs anonymes laissent tout de même une trace de leur soutien ou de leur empathie : “courage, vous êtes incroyablement forte”, “Femmes victimes on vous croit!” “vivez bien, c’est la meilleure des vengeances :)”


Le mur des secrets

Dans les toilettes du Bâtiment C, une instruction “Write your darkest secret” a provoqué des dizaines de réponses de la part d’anonymes. Elles viennent s’épancher sur leurs problèmes, en anglais ou en français, et réagissent aux secrets des autres.

Des personnes de passage viennent confier leurs secrets les plus intimes “Il s’est tué à cause de moi”, et obtiennent des réponses “Tu n’es pas responsable du choix des autres”.

On peut y retrouver quelques confidences “ça fait 7 ans que je suis en dépression, c’est quand que ça s’arrête?”, tandis que certaines anonymes essayent de redonner espoir aux autres “à toutes les personnes dans le mal, on vous entend”.

Sur ce mur, il y a pléthore d’inscriptions qui se veulent encourageantes et motivantes “Je voudrais pas vous spoiler mais ça finira par aller mieux”, “Croyez en vous”...

Dans cette fresque des secrets, chacun vient raconter ses difficultés “des fois je me demande pourquoi je suis toujours là”, ou encore

“Je suis incapable d’aimer, j’ai plus d’affection pour la 8.6 que pour ma propre mère”...

D’autres anonymes, répondent aux messages de mal-être et proposent des solutions “si tu en as besoin, les CMP sont des structures avec des psys gratuits”. À raison, est désormais collé sur ce mur une affiche du service Ecoute Etudiant, un site conçu par des professionnels du soutien psychologique, et qui offre 3 téléconsultations gratuites avec des psychologues afin d’aider les étudiant.e.s à trouver de l’aide.





Récit d’Alice*

Nous avons eu la chance de discuter avec l’autrice originelle des messages de témoignage de viol des toilettes du bâtiment Ricoeur. C’est en Juin 2021, que Alice* rédige son témoignage sur un mur alors vierge de toute écriture. “Je me souviens, c’était pendant le covid, il y avait surtout du distanciel, je venais à la fac pour travailler à la BU, on ne croisait pas grand monde”. Inspirée par des messages de soutiens qu’elle avait vu dans le bâtiment de Psycho, tourmentée par une phase d’acceptation et de colère sur ce qu’elle a vécu, elle va inscrire son histoire sur le mur comme un cri de révolte. Un an après, au hasard d’un passage aux toilettes, elle va redécouvrir son message, qu’elle avait oublié, et qui va être accompagné de dizaines de messages de réponse. “Ce fut un moment très très fort de voir tous ces messages de soutien ou de témoignage. Ça montre la présence des autres, une sorte de complicité anonyme.” Aujourd’hui encore elle regarde régulièrement les photos des réponses pour se rappeler le courage qu’elle a eu à mettre son histoire en public et le soutien qu’elle a reçu. Il s’agissait pour elle d’une envie de marquer le mur, de laisser sa trace mais elle a découvert aussi une parenthèse de sororité.

Alice nous a raconté avoir vécu une autre expérience avec les messages dans les toilettes qui mérite l’anecdote. Dans une des toilettes de la fac, elle inscrit son numéro dans l'optique de trouver une copine. Écrit initialement sur le ton de la blague, la période distancielle et la difficulté à rencontrer de nouvelles personnes à fini par convaincre quelques personnes à y répondre, même si les discussions n’ont abouti sur aucune relation.

Plus largement, tous ces petits mots représentent pour elle une manière anonyme de s’approprier l’espace, de laisser une trace anonyme de son passage. “Et puis c’est plus sympa d’avoir des petits mots à lire plutôt que des espaces stérile”


*Nom d’emprunt



Par Marie, Emilie et Raph

Publié dans le N°004 du 5 septembre 2022

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